Cette chronique a été initialement publiée sur le site de Harvard Business Review France

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Avec la gratuité de certains contenus, notre rapport à la valorisation financière du travail a imperceptiblement et pourtant considérablement changé, ce qui n’est pas sans conséquence en matière d’intelligence collective.

L’impact des contenus gratuits est significatif pour certains acteurs économiques : quel avenir pour les formateurs face à l’existence de Mooc accessibles gratuitement et traitant des mêmes sujets qu’eux ? Mais, à l’inverse, cette gratuité se révèle bénéfique pour certaines entreprises du numérique, par le biais du modèle « freemium » (stratégie commerciale qui consiste à proposer une service en libre accès afin d’attirer un grand nombre d’utilisateurs, NDLR). C’est, par exemple, le cas de LinkedIn ou de YouTube. En mettant à disposition son site et en véhiculant gratuitement le contenu généré par sa communauté d’utilisateurs, ce dernier créé de la valeur en collectant des données (le nouvel or noir) et en encaissant des revenus publicitaires (liés au nombre de clics). Le contenu mis à disposition bénévolement par les utilisateurs devient alors un produit d’appel. En somme, son chiffre d’affaires découle, en partie, de la dévalorisation financière de ces contenus. Le gratuit de l’un devient la valeur de l’autre. La valeur du contenu, bien que considéré comme gratuit, apporte en réalité à la plateforme une contrepartie financière (par le biais de la publicité et de la vente de données).

La presse a été la première à s’émouvoir du fait que Google tire profit, via son moteur de recherche, de l’affichage de ses articles sans aucun partage de valeur. Il faut dire qu’en vingt ans, le chiffre d’affaire du secteur est passé de 11,5 milliards d’euros à 6 milliards d’euros. Si une loi liée aux droits voisins a été votée en 2019 concernant la reproduction des travaux de la presse, son application génère une confrontation entre Google et les éditeurs de contenus.

Par leur capacité à toucher une large population et à donner de la visibilité à l’information, les plateformes numériques parviennent en effet à obtenir une position dominante. Dans le cas de Google avec la presse, la disproportion de la valeur captée par rapport à la contribution apportée est justement un des points de litige. Cela illustre bien combien les épineuses questions de partage de la valeur deviennent centrales pour nos entreprises et, plus globalement, pour notre société.

Une forme de vente à perte

Le gratuit met donc en danger la survie économique de certains acteurs. Pourquoi payer pour quelque chose alors qu’un contenu apparemment semblable est mis à disposition gratuitement ? Cette logique peut inciter à faire un pari risqué et à brader sa compétence. Certains conférenciers ou humoristes, dans l’espoir d’être reconnus, font ainsi le choix de diffuser massivement leurs vidéos sur YouTube, coupant alors l’herbe sous le pied à d’autres membres de leur profession.

Le gratuit est une forme de vente à perte : l’accès à une expertise, des heures de travail et des frais engagés ne sont ni payés ni remboursés. Rappelons que la vente à perte est considérée comme une pratique illégale et une concurrence déloyale passible de sanctions dans le domaine du commerce.

Il ne s’agit pas nécessairement de remettre en question cette nouvelle culture de l’accès permettant à chacun d’accéder à des contenus. Il s’agit d’interroger le principe d’équité et la juste valorisation financière des différents types de contributions. Pourquoi certaines contributions seraient-elles valorisées financièrement et d’autres considérées comme gratuites ?

Un manque collectif d’honnêteté intellectuelle

Le gratuit n’est pas sans conséquence sur nos manières de penser. D’une part, nous nous sommes habitués à accéder gratuitement à des contenus, même lorsqu’ils proviennent d’une expertise acquise sur de longues années, et à considérer que nous pouvions bénéficier gratuitement d’un service sans même nous soucier de la reconnaissance financière du contributeur. Petit à petit, nous tendons donc à un manque d’honnêteté intellectuel, individuel et collectif. Quelle meilleure illustration que la loi Hadopi, imaginée pour nous rappeler une évidence : un film naît d’un travail et le téléchargement illégal est un vol. D’autre part, l’idée de fournir un travail gratuit en contrepartie d’une visibilité ou d’un espoir de travail rémunéré à venir nous semble aujourd’hui presque normale. Une vidéo sur les freelances qui sont régulièrement confrontés à ce type de demande, traitant le sujet avec humour, est d’ailleurs devenue virale.

Ces évolutions dans nos manières de penser ne sont pas étrangères aux notions d’équité et de partage de la valeur, et donc à celle d’intelligence collective. Voici trois suggestions pour agir :
– Etablir une juste reconnaissance financière de chaque contribution ;
– Favoriser un partage équitable de la valeur produite ;
– Revaloriser financièrement les métiers liés aux contenus.

Pour conclure, rappelons que l’esprit critique, sur lequel s’appuie l’honnêteté intellectuelle, a été considéré comme une compétence essentielle du futur par l’ étude « Future of Jobs » du Forum économique mondial.  S’il pourrait être tentant de croire qu’il suffit de démultiplier l’accès à l’information via des outils digitaux pour favoriser notre esprit critique, rien n’est moins vrai. L’infobésité et le survol des informations qui en résulte va de pair avec une perte d’esprit critique (lire aussi la chronique : « L’attention, ultime défi d’un monde digital ? »). La prolifération des fake news en est l’illustration parfaite. Accéder à l’information ne suffit pas. Une expertise sur un sujet donné s’acquiert sur un temps long, grâce à une capacité à traiter les informations : trier, combiner, interroger, confronter, prendre de la hauteur… Et cette expertise est nécessaire pour donner un éclairage juste. A cette valeur, il est nécessaire d’accorder une juste reconnaissance, mais aussi une rétribution financière équitable.

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